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Conférence sur les perturbateurs endocriniens

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Ingénieur et Développement Durable (CSA)

Les composantes

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24/08/2018

Perturbateurs endocriniens : enjeux et prévention

 

Le 4 mai, Centrale Ingénieur et développement durable et X-Environnement ont organisé une conférence sur les perturbateurs endocriniens. Étaient invités Jean-Baptiste Fini, chercheur au laboratoire Évolution des régulations endocriniennes du MNHN, Pierre de Franclieu, du ministère de la Transition écologique et solidaire, Juliette Larbre, directrice du Laboratoire des polluants chimiques de la mairie de Paris, et Olivier Toma, fondateur du Comité du développement durable en santé (C2DS). 

Compte-rendu de cette conférence rédigé par Sabine Perruzeau (X-Environnement) et Jacques Millery (ECP 90)



Selon l’OMS, « un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous-)populations ». Ces PE se retrouvent dans de multiples produits, des jouets aux médicaments en passant par les produits imperméables, les adhésifs, l’ameublement, les produits agroalimentaire, l’électronique, les cosmétiques et les phytosanitaires… Certains, stables et persistants, restent présents dans l’environnement même des décennies après avoir été interdits.

Or en parallèle une tendance à la dégradation de la santé humaine se fait jour : l’espérance de vie en bonne santé stagne ou régresse, l’obésité, le diabète, les maladies neuro-développementales comme l’autisme ou l’hyperactivité progressent et les problèmes de reproduction et les pathologies de la thyroïde se multiplient. Ces molécules particulières, notamment du fait de leur structure proche de celles des hormones naturelles, peuvent en bloquer ou en amplifier les effets. Les hormones gouvernent notre santé physique et psychique ainsi que notre comportement. Aux États-Unis, des scientifiques ont constaté l’impact de telles molécules, comme le DDT qui a provoqué la féminisation d’alligators mâles dans les années 1990, et ont aussi montré que les additifs des plastiques migraient hors des objets.

Le DES ou Distilbène, commercialisé comme médicament contre les fausses couches et consommé par 5 millions de femmes dans le monde, a été prouvé inefficace, puis interdit aux États-Unis car générateur potentiel d’effets négatifs sur trois générations, dont des anomalies du développement, la stérilité et des cancers de l’appareil reproducteur.


Actions à faible dose

Les PE agissent à faible dose, sans seuil, avec des effets transgénérationnels. Comme ils sont multiples et omniprésents, il faut en outre considérer leurs effets en mélanges.

Les phases les plus sensibles d’exposition aux PE sont celles du développement in utero et de la petite enfance. Les prématurés en couveuse y sont particulièrement sensibles : pendant des décennies, le pic « x » sur leurs chromatogrammes, signature des phtalates (PE) migrant depuis les équipements, est resté un mystère. À chaque don de sang, un donneur reçoit 30 µg de phtalates du fait des tubulures et poche. 

Les hormones thyroïdiennes jouent un rôle essentiel pour le développement du cerveau pendant le développement fœtal et ont besoin d’iode, sous peine de voir le QI de l’enfant passer en dessous de 35. Pendant son premier trimestre, l’enfant dépend de sa mère. Or, si le taux de thyroxine libre de celle-ci sort de la fourchette 12-20 pmol/L, le QI de l’enfant sera statistiquement inférieur jusqu’à 5 points. Appliqué sur l’ensemble des 7 milliards d’humains, cela représenterait 60 % de déficients intellectuels supplémentaires (9,4 millions au total).

Le placenta n’empêche pas les molécules PE dans le corps des femmes enceintes de passer dans le liquide amniotique : on peut en retrouver plusieurs dizaines. 

Il est, d’une part, difficile de connaître les niveaux d’exposition aux différents PE et, d’autre part, d’en tirer des évaluations sur les effets sanitaires potentiels. À Paris, des mesures ont montré que l’air des crèches affiche des concentrations de PE de l’ordre du nanogramme par mètre cube. Mais les courbes de dose-effet de ces molécules ne sont pas classiques : en forme de U ou inversées, elles peuvent provoquer des effets plus forts à faible dose. Les enjeux de santé et d’environnement sont majeurs avec des impacts potentiels sur les capacités d’adaptation des générations futures. Les décisionnaires semblent cependant se complaire dans l’inaction. Pourtant morts prématurées, désordres reproductifs, obésité, diabète, impacts neuro-développementaux, perte d’intelligence et prises en charge médicales ont un coût, évalué en 2015 en Europe à 157 milliards d’euros, dont 120 milliards du fait des pesticides et 132 milliards dus aux impacts développementaux.

Quand on découvre après coup que les BPS et BPF, molécules de remplacement du BPA (bisphénol A), auraient les mêmes effets problématiques, la gestion de la substitution semble inadéquate !


Une réglementation complexe et insuffisante

La réglementation sur les substances dangereuses s’est construite initialement au cas par cas en réaction à des risques avérés inacceptables, comme le DDT. Dès les années 1990, la mise sur le marché des produits phytosanitaires a nécessité une autorisation préalable. À la fin des années 2000, le règlement REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) a cherché à réglementer toutes les substances chimiques (anciennes et nouvelles) sur le marché européen : ainsi toute molécule non déjà réglementée doit faire l’objet par les industriels d’un dossier d’enregistrement avec ses dangers (notamment PE), ses utilisations et les moyens de prévention. Cela permet à l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques) de compiler une base de données des substances sur le marché, avec des informations sur la toxicité. L’ECHA contrôle la conformité des dossiers selon différents critères sur les effets principaux et demande des compléments.

Les différents règlements concernant les PE, comme celui sur les cosmétiques ou celui sur les biocides, suggèrent leur interdiction. Ils devront toutefois être révisés à chaque nouvelle définition des PE de la Commission européenne. Or cette dernière en a émis une en 2016, avec un tel retard qu’elle a été condamnée par le Tribunal de l’Union européenne : un PE est ainsi « une substance ou un mélange exogène qui altère les fonctions du système endocrinien et cause un effet néfaste sur l’organisme et/ou sa descendance. » Mais « effet néfaste » n’est pas clairement défini, et le lien de causalité est très difficile à obtenir.

Le ministère français de la Transition écologique et solidaire vise à réduire l’exposition par la sobriété des substances chimiques. Il a créé en 2014 la SNPE (Stratégie nationale sur les PE) selon quatre axes :

  • une recherche dédiée renforcée ;
  • le développement d’une expertise d’évaluation des risques par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ; 
  • la sensibilisation, l’information et la formation du public aux professionnels de la santé ;
  • le déplacement des missions vers les territoires.

Aux États-Unis, pour plus de 80 000 molécules sur le marché, 300 seulement ont été testées et 5 ont vu leur usage restreint : sans les moyens, le temps et la neutralité nécessaires pour évaluer les risques de ces molécules, comment le système peut-il efficacement protéger la santé et l’environnement ?

Le système européen manque parfois de cohérence. L’Agence pour la santé alimentaire en Europe (EFSA) ne reconnaît pas la même toxicité au BPA que l’Anses : la France est seule en Europe à l’avoir retiré des contenants alimentaires. Mais les industriels ont le droit de fabriquer ou d’utiliser du BPA pour le vendre hors de France… et on en retrouve en France. Les phytopharmaceutiques sont dans le périmètre de l’EFSA, mais les biocides contenant les mêmes molécules dépendent de l’ECHA. Quant aux collectivités, elles ne semblent pas prêtes à gérer le risque PE. Par ailleurs, comment juger de l’efficacité du contrôle des dossiers remis par les industriels ? Font-ils ce qu’ils disent ? Au bout de combien de temps une substance établie comme dangereuse est-elle légalement bannie du quotidien ?

Dans sa démarche de protection de ses employés et habitants, la mairie de Paris rencontre quelques difficultés : aujourd’hui, il n’y a pas de liste officielle des PE. Si certaines de ces molécules sont présentes à faible dose dans un produit, les industriels ne sont pas tenus de les noter sur l’étiquette. Si les fournisseurs coopèrent en déclarant une composition, peut-on avoir confiance ? Et quid des résidus involontaires ? Il faudrait alors avoir recours à des mesures dans toutes sortes de matériaux, avec des capacités de détection à faible concentration, ce qui nécessite un investissement.

Au final, si l’on interdit les PE dans certains marchés sans que les industriels ne trouvent d’alternatives, le plus inquiétant serait de se retrouver avec des marchés infructueux.

Le guide d’application des critères réglementaires n’existe pas encore ; idem pour les méthodes de tests pour toutes les voies endocrines, et pas seulement la thyroïde. Quelle est l’implication des industriels dans le développement de tels tests en amont, qui permettraient de bloquer au plus tôt le développement de molécules à l’innocuité douteuse ? Les fabricants des biens de consommation finaux devraient vouloir se reposer sur des matières premières sûres. À quelle échelle du territoire peuvent réellement se gérer ces risques ?


Des pistes d’amélioration

Heureusement des pistes pour améliorer la situation existent.

Contrairement au système nord-américain, REACH permet de prendre en compte les molécules déjà sur le marché et pas seulement les nouvelles. Cela fait maintenant dix ans qu’il génère des données sur les risques et il permettra, avec le recul, de rendre plus efficaces les mesures de gestion. En outre il permet d’interdire totalement une substance ou certains usages non réglementés par ailleurs (comme le BPA dans les tickets de caisse).

Le travail effectué par la France a permis d’obtenir que le lien de causalité puisse être plausible sans avoir besoin d’être avéré, et de même que l’effet néfaste puisse n’être que présumé. C’est la pression publique et le travail, entre autres, d’une association, le RES (Réseau Environnement Santé), qui ont amené l’Anses à reconnaître les effets du BPA à faibles doses. En conséquence la molécule a été interdite dans les biberons français en 2010.

Des associations soutiennent la SNPE sur les aspects d’information et de sensibilisation, particulièrement dans le monde de la santé. Nombre d’associations contribuent à la diminution de l’exposition. Le RES est à l’origine de l’initiative « Villes et territoires sans PE ».

En outre il est possible d’observer un effet bénéfique pour peu que des décisions soient prises : quand l’Allemagne a cessé d’utiliser du DEHP, la part de cette molécule ingérée par les gens a fortement décru.

La mairie de Paris offre un bon exemple de ce que peut faire un territoire. Débarrassée des biocides et pesticides depuis 2007 et du BPA dans les crèches, elle s’est dotée en 2016 de son propre Plan santé environnement (PSE) à cinq grands principes. Le thème des PE y est traité dans le cadre des environnements intérieurs, de la sensibilisation des jeunes et des personnels scolaires et des établissements de santé.

Un point essentiel est la prise en compte des PE dans les commandes publiques, qui atteignent des montants considérables. La mairie de Paris sait intégrer dans ses commandes des critères d’écoconditionnalité via le guide des achats, les clauses des marchés, les critères de sélection et la mise en place de référents PSE dans toutes les directions. La mairie souhaite également réaliser des campagnes de mesures afin de connaître l’imprégnation des humains sur son territoire.

Paris est en outre la première grande ville française à avoir signé la charte « Villes et territoires sans PE », avec des engagements proches de ceux de son PSE, des cuisines avec plus de bio et sans plastique. Des actions ont été prises, en priorité en ce qui concerne les crèches, où les sources de PE vont des jouets en plastique aux sols souples (PVC), en passant par les couches ou encore les produits ménagers et corporels. Ces derniers sont remplacés par de l’eau seule. Le choix des produits d’entretien est très encadré, étant donné le risque chimique.

Il existe des labels pour les maternités ou les services de dialyse « écoresponsables », ou encore des établissements engagés sans PE.

Il serait possible d’avoir un test de sélection des molécules plus rapide, fondé non sur les effets, mais sur les modes d’actions des PE.

La prise de conscience des enjeux PE s’étend de plus en plus rapidement, les citoyens et les associations permettent des avancées et la gouvernance est de plus en plus cadrée. L’industrie est cependant encore loin de communiquer et de coopérer spontanément sur le sujet.





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